Peu à peu, le roulis s'intensifiait — pourtant insuffisant à te bercer. Caché au fond de la cale, aussi longtemps que tu le pouvais. Bientôt, les premiers membres d'équipage auraient fini leur quart, et descendraient dans leurs quartiers. La place pour rester dissimulé te manquerait, et on finirait par te trouver. Pour un nouveau tour à jouer. Un nouveau mensonge à présenter, une nouvelle opportunité. S'intégrer, ou être tué. Tu te trouvais de plus en plus lassé du challenge, mais le besoin de passage subsistait. Et personne ne voulait te garder plus longtemps qu'il ne le fallait. Ou peut-être était-ce que tu n'avais jamais voulu t'attarder.

Tu as fini par t'installer. Les jambes étendues un peu trop à souhait. Tes maigres possessions tenaient dans les poches de ton manteau, roulé en boule dans ton dos. Le support qu'il t'offrait était loin d'être idéal, mais suffisait à agrémenter le voyage d'une touche de confort. Elle ne tarderait pas à disparaître, tu le savais — au profit d'une couchette suspendue, si tu étais chanceux. D'une cage, autrement.

Tes yeux se sont fermés et, si tous tes sens restent aux aguets, tu prends le repos pour ce qu'il est. Une opportunité de te rassembler, et de prévoir l'histoire que tu allais encore une fois raconter. Supercherie à renouveler, au cas où le mot de tes voyages clandestins se serait passé plus vite que tu ne l'avais estimé. Un jour, tu te feras pincer. D'ici là, on t'attendait sur le rivage opposé, et tu n'allais certainement pas y nager.

Un craquement. Des pas précipités. Quelqu'un vient. Tes paupières s'ouvrent subitement, mais tu n'as pas le temps de ramener tes jambes vers toi que tu aperçois la silhouette plantée à quelques pas. Pas très grande, l'oeil aussi fougueux que les cheveux. Traits fins. Belle. Tu ne fais cependant pas l'erreur de la sous-estimer. Ni celle de vouloir fuir, ou de croire qu'elle ne t'avait pas vu. La moue crispée par l'exaspération de t'être fait coincer aussi rapidement, tu lèves les mains en toute innocence. « I can explain. » Ni apeuré, ni affolé.
Ce n'était qu'une question de temps, et tu le savais.

Idiot. Stupid, drunk, useless idiot. Tu grinces des dents, essayant avec la plus grande violence de ne pas craquer et de jeter ton capitaine par-dessus bord. Tu n'en pouvais plus, de ses sales humeurs et de ses regards brumeux, de son incapacité à gérer son navire correctement et à prendre des décisions qui ne mettaient pas en danger son équipage. Tu te dis que s'il ouvre encore sa bouche, tu vas lui foutre ton poing entre les deux yeux ; mais heureusement, il se détourne pour prendre une autre gorgée de sa bouteille de rhum, te donnant l'occasion de simplement serrer les poings et garder ton calme. Tu devais être meilleure que lui, et sur tous les aspects. C'est comme ça que tu gagnerais le respect des autres, que tu cultivais déjà avec prudence et agilité. C'est comme ça que tu gagnerais ta vraie place sur ce navire. Tu inspires profondément. De toute façon, tu devais toujours faire les choses toi-même, ne pouvant compter sur ton porc de capitaine pour le faire correctement. Il n'était pas entièrement incompétent, mais sur de nombreux points, tu étais en désaccord. Et ça s'agitait, sur le navire. Lentement mais sûrement, la mutinerie qui habitait tes rêves les plus doux prenait forme, et devenait une possible réalité. Comme tu avais hâte. Tu serais en tête de file, ton épée dans ta main, la rage dans tes yeux, et tu te ferais un plaisir d'enfoncer ta botte contre son cou et de regarder la vie quitter son regard.

Mais une chose à la fois.

Tu irais faire l'inventaire des barils de poudre toi-même, puisque personne n'était foutu de s'en occuper. Tu remplirais ton navire de marins compétents, une fois que tu serais capitaine. Des femmes, plus que des hommes. Au moins elles avaient la tête sur les épaules et pensaient à autre chose que la prochaine bouteille de rhum et le bordel où passer la nuit. Ton pas est rapide, dans ce navire dont tu connais les moindres recoins, et tu pénètres dans la petite cale avec nonchalance. Il fait noir, mais tu discernes sans peine la silhouette allongée là, comme si le sol était un grand lit. Un homme, les cheveux sombres, bouclés, et un sourire aussi embarrassé que charmant sur les lèvres. Tu plisses des yeux. « I can explain. » Il a les mains levées, mais tu dégaines quand même ton pistolet pour le pointer sur son front. « Who the fuck are you and what are you doing on my ship ? »

Tu te retiens de ne pas te mordre la langue. Tu as parlé trop vite - le navire n'était pas encore vraiment à toi. Ta colère prenait raison sur toi, et tu t'étires le dos. « If you can explain, I suggest you explain fast. » Tu enlèves la sécurité, ton doigt placé sur la gâchette sans le moindre tremblement. « Get up. And keep your hands in my sight. » Tu hisses, lui donnant un signe de tête. Tes yeux, remplis de tempête. De confusion, mais aussi une étincelle de malice. Et si cet homme était un autre pas vers ton objectif ? Peut-être que ce ne serait pas une mauvaise chose, et que tu pourrais l'utiliser pour prouver ta valeur.